La Fiancée des parcs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Roman érotique traité avec humour

et rehaussé des tonalités érogènes

d'une Sologne estivale

 

132 pages

9,90 €

dans toutes librairies conventionnelles ou virtuelles

 

 

 

Quatrième de couverture  

Quelques extraits

 

 

Bleu matin

 

Existait-il encore, en cette époque annonciatrice de cris et de fumées, peut-être de révolution, une fée protectrice des jeunes filles en péril ? Assurément. Sereine et lumi­neuse, elle habitait Saint-Cloud et se prénommait Clarisse. N’ayant qu’à jouer des cils pour que le miel abonde, elle ignorait les soucis de finance.

En ce matin de la mi-août, sous un azur annonciateur d’une journée splendide, après s’être assurée que nul ne l’observait, elle a arqué son corps pour refermer, levant les bras avec une émotion que nous partagerons plus tard, la porte à bascule d’un garage dont un promeneur de chien aurait pu remarquer, à condition qu’il y eût en cette avenue un animal suivi d'un maître tôt levé, qu’elle venait en marche arrière de sortir sa voiture. Puis elle quitta ce lieu de résidence, direction le périphérique extérieur de Paris, qu’elle emprunta jusqu’à la porte d’Orléans. Nous la voyons ensuite filer sur l’autoroute A6, puis prendre sur sa droite la direction de Montargis.

Comme prévu, à sept heures pile, elle atteignit cette ville traversée de canaux. Arrêtée peu après devant les grilles d’une demeure qu’elle n'eut pas à chercher, elle donna un coup de klaxon bref, accueillit la jeune fille parue sur le perron, redémarra au claquement de sa por­tière. Puis le cabriolet crissa des quatre pneus entre les rails de la sécurité routière, bifurqua sur une départementale et s’en fut, rutilant, par des routes buissonnières.

 

 

Une bécasse, quelqu’un avait trouvé le mot juste. Une allumeuse, la névrosée à l’état pur, renchérissait-elle en son for intérieur, les yeux braqués sur le ruban d’une route qu’elle ne distinguait plus, ravagée qu’elle était par un amour que l’éclat du soleil rendait on se peut plus tragique. Clarisse ralentit, engagea la voiture dans un chemin et coupa le contact.

— Marchons un peu…

Elle défit sa ceinture, aida sa passagère à s’extraire de son siège et remarqua, au franchissement de la carrosserie par une jambe on ne peut mieux tournée, la dentelle d’un dessous. Émue, elle se vit projetée en la personne d’Amadeo, puis en celle de l’aimée à laquelle on tendait une main secourable, qu’on aidait à se redresser pour l’accueillir sur soi, la ployer et lui prendre les lèvres dans la rosée qu’on distinguait encore. Une senteur de sève et d’enlacements, à l’heure où les bûcherons empoignent le manche, où les cueilleurs mettent la main au panier et que les petites filles modèles, au contraire d’elle-même qui n’en fit rien, se glissent dans leur culotte avant d’aller retrouver leurs copines, la fit éclater d'un rire tel qu’il se communiqua. La demoiselle, du coup, n’eut plus rien de présentable — enfin, se dit la fée, pour ce qui l’attendait… car ce qui l’attendait… à en pleurer de rire ! Et le rire la reprit avec d’autant plus de vigueur que l’éplorée de l’instant, dans l’ignorance de la journée qui débutait à peine, y entendait si peu malice que le rire la secouait à son tour. Et le rire était bon, le rire la menait en douceur à la paix, la caressait comme le faisait Clarisse, cette amie dont la joie lui désignait l’été, le chemin forestier traversé de désirs.

Ces jolis seins… lui chantait-on en lui en effleurant les pointes… et ce mignon derrière, poursuivait-on en glissant une main sous sa jupe, mais…

— Comment, ma chérie ! N’avions-nous pas convenu de ne rien porter dessous ?

Et tandis qu’elle pêchait dans le coffre de sa voiture la mince protection d’un nylon, voici qu’on la priait, d’une voix tremblant à peine, de demeurer comme elle était.

De son aînée qui tâtait à son tour, l’inconsciente, du plaisir de vaquer en cette nudité cachée qu’elle-même avait refusée ce matin, et qui aurait aimé raccourcir sa jupette d’un petit centimètre, puis d’un autre et que tout se devinât, d’un autre encore et que tout s’exhibât, qu’un garde forestier se retournât pour la suivre des yeux, la jeune fille prit la main. Percevrait-il, le bonhomme, que son regard ferait s’inquiéter la frivole, la pousserait en même temps à dominer son trouble malgré qu’on achevât de la déshabiller des yeux, et qu’elle se glisserait à son volant comme si de rien n’était, par là jouirait de son émoi aussi longtemps qu’elle le voudrait ?

 

La psyché bouleversée par les caresses de l’air, la tête emplie de la vision furtive des formes de sa protégée d‘évidence dans le même état qu’elle, Clarisse jouait avec le feu dans une partie mal explorée d'elle-même. L’y poussait cette écervelée, cette vierge blessée qui écrivait si bien, dans ses carnets de poétesse, et qui vivait si mal, si loin de tout partage qu’on éprouvait l’envie de la réchauf­fer, de l’embraser si l’on poussait plus loin, et qu’elle ne jouît plus seule. Mais elle-même n’avait guère, à part quelques émois du temps du pensionnat, la pratique des personnes de son sexe. Elle décida cependant de pour­suivre le jeu, entraîna la fofolle dans un sentier qui débouchait sur un nid de soleil, clairière au centre de laquelle les attendait une souche.

 

Lui révéler une seconde figure, le dégrafé de tourterelle, puis évoquer le cadre de l’action, les personnes attachées aux caprices de chacune, et continuer de l’inquiéter ?…

— Chaque nouvelle venue est d’abord étudiée dans sa réalité physique — prends-le au pied de la lettre —, on passe ensuite à l’état de sa psyché, cela en vue de sa mise en condition — disons de l’ouverture de son esprit, si tu préfères cette expression.

— Et voilà ! Tu cherches encore à me terroriser.

— Ne l’es-tu pas déjà ? 

Vierge promise à aux appétits des hommes, la demoi­selle se tut. Dénudée, elle l’était déjà, plus qu’aux trois quarts, mais non plus pour elle seule car sa cousine la regardait, de sorte que son impudeur, bien qu’elle fût partagée — de sa compagne s’offrait pareillement ce que cachent d’ordinaire les plus dévergondées — la trans­portait dans une forme d’effarement jusqu’alors inconnue. Et maintenant qu’elles s’étaient relevées pour marcher côte à côte, silencieuses, la caresse du tissus sur sa toison pubienne, par devant, et la lisière imaginée visible de ses fesses, par derrière, lui inspiraient de telles visions qu’elle eût aimé que se produisît le miracle, qu’on lui saisît les lèvres dans le sombre de bois où tout s’achèverait, et qu’elle fût libérée. Elle exhala un long soupir, se vit dans la position tout à l’heure suggérée de levrette forestière, rêva d’herbe mouillée, de piquets et de faunes. Au point que si Clarisse ne l’avait surveillée elle se serait offerte, en d’impudiques enjambements, au mouillé de la rosée dans le frôlement des feuilles… Espérant cependant s’apaiser, elle prit le bras de sa conseillère, de sa belle tortionnaire qui n’en voulait dire plus et qui, malgré qu’elle fût elle-même en les débordements de son imaginaire, la ramena à la raison. Assurant qu’elles risquaient le retard, elle se défit du bras lui enserrant la taille, ramena sa protégée à leur point de départ et là la recoiffa, remit une touche au léger maquillage la colorant de jeunesse, vingt ans dans quelques heures mais pas encore d’amant — une innocente en ses provocations, qui avant de remonter en voiture, et dans la perspective d’en bientôt redescendre, s’inquiétait de décence : n’allait-on pas deviner, peut-être même le percevoir et détourner les yeux, ou au contraire se rincer l’œil ?…

 

Mais qu’avait-elle promis, si ce n’est amener sa proté­gée, dans le meilleur état possible, à qui avait promis de la remettre sur pied, et cela fait de la marier ?  Elle hésita quelques instants, puis, tombée à son tour dans le vide, de la future épousée déboutonna la chemise, en écarta les pans, livra aux oiseaux en goguette une gorge menue qu’elle ne put s’interdire d’effleurer.

— Roulons, décida-t-elle, se déboutonnant à son tour.

— Mais… tenta de protester sa passagère, tant boule­versée qu’effarée du grand jour qui les allait livrer, en cette provocation, à des yeux effarés.

— Ma chérie, si tu combines vitesse et luminosité, que penses-tu que verra lautomobiliste aux yeux braqués sur sa ligne d’arrivée ? Deux visages féminins, c’est tout. Et si nous ne portions rien, pas même le moindre string, ajouta-t-elle en remontant sa jupe, à part les poétesses, on n’y verrait que du feu. Alors détends-toi, accorde-moi ta confiance et attache ta ceinture. 

C’est ainsi que l’unique héritière d’une famille à la moralité sans faille (et aux avoirs immenses) la veille de son anniversaire fut arrachée au désespoir par une cous­ine aussi redoutée que lointaine, cependant accueillie comme l’eût été le Sauveur, et se vit emportée, cœur affolé dans les premiers instants, puis s’apaisant dans une volupté hors du commun, vers un institut de guérison des jeunes femmes et jeunes filles perturbées, dont celle qui l’avait arrachée à l’enfer psychiatrique n’avait cessé de vanter les vertus.

 

Elle ressentait l’appel du diable, aurait en cachette glissé un doigt vers sa touffeur si un coup de klaxon à vous crever les tympans ne l’avait pétrifiée. À sa droite un énorme train de roues surmonté d’une cabine, et par la vitre ouverte la pupille dilatée d’un chauffeur !

De part et d’autre accélérer à fond, semi-remorque heureusement dépassé, n’ayant pour tout recours que des coups de corne et des appels de phares, jurons dans une cabine où s’alignaient, vêtues de moitiés de maillots, des filles de bord de mer et de bars à routiers… Et cette Clarisse qui levait le bras à l’intention du prédateur, lequel agitait la main en signe de connivence !

— Il va nous signaler ! s’épouvanta la débusquée, les paumes en guise de soutien-gorge.

— Tu crois ?

— Ils ont tous la radio. 

Clarisse écrasa le champignon, sema leur poursuivant dans la traversée d’un village ne laissant d’autre choix, à moins de désirer l’émeute, que la fuite en avant. Un autochtone les avait remarquées, s’était détourné de son arrosoir pour les suivre des yeux, en avait avalé son mégot, arrosé ses sabots au lieu de ses pots de fleurs.

—  Clarisse…

— Plus que deux kilomètres. 

Peu après en effet elles bifurquèrent dans un chemin de campagne, puis s’engagèrent dans une allée bordée de hêtres menant à un portail, une aire ensoleillée qu’attei­gnait la Lancia. De part et d’autre un mur de trois mètres de haut, dont l’ocre allait se perdre dans les rousseurs évanescentes des frondaisons de Sologne.

 

Bleu rehaussé de rose  

 

Mais que manigançait Clarisse, pourquoi ne lui venait-elle pas en aide ? Elle revit la clairière, le camion juste après et, en deçà de canards bleus et verts une barque sur l’eau, la morsure du soleil tandis qu’un garçon du lycée lorgnait sur ses genoux.

— S’il vous plaît, revenez parmi nous.

Elle revint, fut aussitôt entre les bras de Sarah, la tête sur sa poitrine comme s’il se fût agi de sa maman, mais ce n’était pas sa maman, ce ne pouvait être sa mère ainsi penchée sur elle et lui parlant avec tendresse. Dieu lui avait donné pour génitrice une statue de sel que même un bouc n’aurait voulu lécher, pour père un ruminant de fortunes, allez vivre avec ça, allez rire avec ça, allez donc avec ça regarder dans les yeux la responsable d’un institut d’épanouissement sexuel alors que la chair vous effraie, que vous n’êtes qu’une bécasse, votre vie un cauchemar de tordue poursuivie de miroirs. À qui parler de cela, de quelle manière parler, par quel moyen avouer ses turpi­tudes ? Les canards s’éloignaient, Seigneur, pardonnez à la malheureuse.

« Pleurez » entendait-elle à l’autre bout du monde.

Mais nul besoin qu’on l’y aidât, ni qu’on l’encourageât, ni même qu’on vînt la consoler. Ça lui sortait des yeux, ça lui coulait du nez, ça mouillait la belle robe de Sarah, bavait sur son épaule et ça se poursuivait, vous secouait de pire en pire, vous plongeait dans un gouffre où s’abîmaient pêle-mêle une route et un cabriolet, Matisse et la Sologne, un couple de mandarins, une parenté qui détournait les yeux… La superbe recrue qu’avait amenée Clarisse, un Kleenex par pitié…

On lui en tendait un, on la laissait pleurer, puis refou­ler ses larmes, peu à peu se calmer… On lui en tendait même un second en lui disant : « Voilà, terminé », mais on ne la quittait pas. Clarisse la soutenait au long d’un long couloir, la conduisait à un cabinet de toilette dont un liseré bleu rehaussait le rose, l’aidait à s’y refaire une apparence.

Jeune, jolie ? Elle en convenait devant la glace, et désirable sans le moindre  doute, malgré ses seins un peu petits. Mais qu’allait-on penser d’elle, si on fouillait son âme ?…

Qu’il était temps qu’on se penchât sur elle et qu’on s’occupât d’elle, lui fut-il répondu.

 

Du fauteuil où elle se tenait à présent, genoux joints, elle voyait le sillon contourner ce qui semblait un village africain appréhendé du ciel, puis se diriger vers un point en lequel se reflétait la baie vitrée. Mais le sillon se perdait dans les cendres avant d'avoir atteint son but. Comme si l’artiste, repoussant leur étreinte, avait refusé de marier ces deux-là.

— Ce tableau vous fascine, dirait-on. Appréciez-vous ses noirs ?

Sarah lui précisa le nom du peintre, qu’elle oublia aussitôt, puis proposa du thé. Elle avait découvert, dit-elle à l’intention de Clarisse, un Darjeeling afghan qui leur donnerait du nerf — et du cœur à l'ouvrage, ajouta-t-elle avec un beau sourire, en pressant un bouton :

— Mariette, ma petite, le thé dans la bibliothèque, s’il vous plaît.

Puis, de retour à sa patiente :

— En attendant, Judith, veuillez me confier votre culotte.

Lui confier sa …? Interloquée, la jeune fille demeura bras ballants, comme pétrifiée sur un chemin de cendres, se demandant si ce qu’elle venait d’entendre appartenait à la réalité… Sa culotte, Ici, maintenant, dans ce salon si joliment meublé, et devant sa cousine, sans compter la servante qui n’allait pas tarder ? D’une voix ne traduisant aucun trouble, Clarisse intervint alors.

— Obéis, ma chérie.

 

Vert soleil, rouge portique

 

Leur moniteur entendait pimenter l’exercice en invitant Judith à les rejoindre, ce qu’elle fit. Son poignet droit fut au niveau des reins à l’autre réuni tandis qu’on la pressait sur soi, qu’on lui posait les lèvres sur le front, qu’elle ne savait pour quel comportement opter alors fermait les yeux et se laissait flatter par une langue à présent promenée sur ses lèvres. Mais on ne cherchait nullement à pénétrer sa bou­che, on tentait simplement — mais peut-être s’égarait-elle, dénuée qu’elle était d’expérience — de l’amener à com­prendre qu’il n’est guère éprouvant de plaquer contre un corps de garçon une féminité inquiète.

— Tu trembles ?

Depuis les hauteurs du ciel, son entraîneur lui souriait comme s’il savait tout d’elle, la regardait comme l’avait regardée Sarah après qu’elle s’était dévêtue. Pourtant tout différait. On ne disait rien de son physique, on ne faisait aucune allusion à son comportement passé, non plus qu’à sa retenue, mais c’était pire : la traitant en égale d’une haute initiée, on la plaçait sur un même plan pour finale­ment la pousser, innocemment, vers des exploits dont on feignait de croire qu’ils ne poseraient d’autre problème que la maîtrise du souffle.

— M’obéiras-tu ? lui demandait le moniteur au regard comme la mer.

Et le voici qui leur lançait, une seconde plus tard :

— Vos shorts, s'il vous plaît. 

Silence atterré, au point qu’il lui fallut préciser :

— Vous ne portez rien dessous, je sais.

— Enfin, ce n’était pas…

— Ce n’était pas, en effet. Mais relisez le règlement.

 

Hum-hum hou-hou… hum-hum… Chevrette libérée de ses liens, levrette aiguillonnée par l’absence de collier, derrière et ventre nus, conscience à la dérive, Judith prit rapidement la tête puis se laissa rattraper, distancer mais de peu, juste le nécessaire pour mesurer ce qu'elle offrait de sa propre personne, c’est-à-dire la vision d’un maillot ajusté sur le torse, ce qui semblait normal dans le cadre d'un mille mètres, mais plus rien sous la taille, et là ce l’était moins. C’était ainsi son double que lui offrait de sa cousine l’éclairement du popotin et l’ombre en creusant le sillon, hum-hum, hou-hou, formes à ce point assouplies par une longue pratique des galanteries qu’elle manqua s’étaler — misère des relevailles songea-t-elle, d’autant qu’un nouveau personnage, caricature de jardinier en chapeau de paille et tablier, délaissait sa brouette et se tournait vers elles pour les suivre des yeux.

 

Et se poursuivait l’épreuve, leur coach les observant à présent dans l’alternance de leurs élans et de leurs sauts, leurs redressements successifs et leurs prises de posture, jambes à angle droit, tête dans les épaules tandis qu’on se préparait à s’envoler… — et hop, toison brune ! et hop, toison blonde ! — touffe brièvement dévoilée de qui sautait le mouton, en plus complète exposition de qui prêtait son dos, la brune suivie de la blonde, la blonde enchaînant sur la brune, tee-shirts mouillés qu’on leur conseilla de quitter.

Court moment de détente et le rêve repartait vers une nouvelle spirale, l’entortillement entre les jambes d’une corde à nœuds cramponnée à deux mains, serrée entre les semelles dans une contre-plongée qui vit Clarisse, mollets gainés de fourreaux protecteurs, s’élever dans le plus simple appareil, à l’exception de son soutien-gorge, vers les hauteurs d’un ciel que traversait une barre. Spectacle hallucinant dont l'entraîneur Hélion, fin connaisseur de l’émotions des femmes entraînées de la sorte, appréciait la splendeur lors de l’élévation, puis dans le sens inverse après que fût atteint le but dans une contraction des cuisses suivie d’un étirement du buste. Puis ce fut à la blonde de se protéger des frottements du chanvre et de saisir la corde, de s’élever et de livrer, à qui levait les yeux et ne les baissait plus, ce qu’elle n’avait osé regarder quelques instants plus tôt. Mais s'agissait-il encore d’elle, était-ce bien elle, Judith Garancière, en ce ciel sans bavure, qui à la force du biceps portait conjointement les pieds jusqu’au nœud supérieur, livrant au spectateur tant le détail de son minou que le fondement de son être ? Elle atteignait son objectif, frappait la barre et redescendait dans un demi-brouillard, une perdition totale… Ne lui restait qu’à recouvrer un semblant d’équilibre, à s'éponger le front pour de nouvelles figures.

 

Vert feuilles, floraison or

 

Lorsqu'elle reparut au salon, ses baskets à la main, elle remarqua qu’on avait apporté entre temps, et déposé sur une table basse, non seulement une carafe de jus de fruit et deux verres, mais également, à côté d’une coupe où flottaient des pétales, ce qui semblait des produits de toilette, ainsi qu’une éponge et un second objet, allongé, qu’elle n’eut pas le temps d’examiner. Le docteur Lipovsky revint à ce moment précis.

— Donnez votre serviette, jeune fille, j’ai là les effets qu’il vous faut… Pour les chaussures hélas, n’ayant rien déniché, je vous demanderai de garder vos baskets.

Décidé à ne rien perdre de l’habillage, le médecin prit alors place dans un fauteuil.

 Avec l’accord tacite de Clarisse et Sarah, elle commença par se rechausser, enfila aussitôt et monta à sa taille une jupe aussi légère, aussi flottante et courte que la plupart des siennes, passa en troisième lieu un chemisier assorti, le boutonna comme il convient, puis en glissa les pans sous l’élastique de sa ceinture. Enfin prête, du moins le pensait-elle, et jolie comme un cœur dans cette soie d’un rose que rehaussait à la taille un liseré plus foncé, elle offrit au présent une satisfaction que gomma aussitôt le retour à la réalité : le docteur Lipovsky la fixait d’un œil noir.

— Comment trouvez-vous ces effets ? l’interrogea-t-il sans la moindre ironie.

Elle répondit qu’ils étaient agréables, qu’elle les sentait à peine, qu’ils lui plaisaient beaucoup.

S’inquiétant alors de psychisme, il lui demanda si elle s’y sentait à l’aise…

— On ne peut mieux, docteur.

… s'il ne lui manquait rien…

— Non, concéda-t-elle après un instant de réflexion. Enfin, je ne pense pas.

— Pas même ceci ?

Débusquée, la coquine ! Rougissant à la vue… non pas du petit slip dont elle avait omis de signaler l’absence, mais de la solide culotte que lui tendait le praticien, elle prit un air contrit, tendit vers le pardon une main de communiante.

 

—Revenons à notre sujet. Au pied du portique, avant de vous détourner de votre cousine, vous avez aperçu quelque chose, n’est-ce pas.

— En effet.

— Quelque chose de choquant ?

— Quelque chose qu’une jeune fille de ma condition, élevée dans le respect d’autrui, n’a guère l’occasion de regarder, ni de voir s’exposer.

— Vous même, cependant, lorsque vous divaguez par les jardins publics et les sentiers champêtres, ne faites-vous pas en sorte de les laisser deviner, parfois même de les mettre en valeur, ces détails de votre personne ?

Les mots la dénudaient, les mots se muaient en autant de miroirs déposés à ses pieds pour éclairer la moindre de ses entreprises, la plus infime de ses audaces. Elle se revit au jardin des Tuileries, puis au parc Montsouris, en eut froid dans le dos.

— Pourquoi me torturer, docteur ? s’entendit-elle s’in­quiéter de si loin qu’elle crut à un dédoublement, revit sa désin­tégration dans les miroitements d’un bassin où voguaient des canards.

 

— Oh, docteur, si vous pouviez me venir en aide !

— Je suis ici pour cette raison, ma chérie. Mais il faut m’en dire plus. 

Elle réfléchit, sembla chasser une ombre, finallement se lança.

— Un jour, aux environs de Meudon, j’ai entrepris une partie de tennis avec une relation de mon père. Un homme bien bâti, au moins deux fois ma taille, dont je parvenais tant bien que mal à contenir les balles… À l’issue du premier set, alors que nous prenions un rafraî­chissement, il m’a chuchoté qu’il éprouvait un immense plaisir à jouer avec moi, que j’étais une excellente parte­naire et, rougissant comme un coq, une très jolie jeune fille. Ce dernier éloge, j’ai fait mine de ne pas l’entendre, si bien que trente secondes plus tard, prenant son courage à deux mains pour m’avouer son désir, il m’a demandé de lui remettre ma culotte. J’ai ouvert de grands yeux, je me suis récriée, si bien qu’il m’a aussitôt présenté ses excuses : sa femme l’avait quitté, il était seul, vous voyez le baratin. Seulement, ce qu’il ignorait, c’est que j’avais anticipé son caprice en me rendant aux toilettes…

— Pourquoi cela ?

— Pour le provoquer. Pour me prouver ma force, pour me prendre à mon propre piège…

— Et de quelle manière vous en êtes-vous tirée ?

— Nous avons repris la partie et, sans blague, je n’en menais pas large. Je loupais mes services, je manquais les trois quarts de ses balles, et lorsque je devais me baisser pour en ramasser une, eh bien, sous prétexte de ne plus le tenter par la vue de ce qu’il croyait que je portais, et qui l’avait à ce point perturbé qu’il jouait à présent comme un pied, j’avais recours à des contorsions que je vous laisse imaginer… Le plus périlleux n’était pas quand la balle roulait au filet. Dans ce cas, pas de problème : j’arrivais face à lui et, de là où il se trouvait, il ne pouvait rien voir… Non, le pire survenait lorsque la balle allait mourir au fond du court. Là, pas d’autre choix que celui-ci : ou bien je me plaçais de profil, ou bien je m’accroupissais en joignant les genoux, si bien qu’en comparaison de mon aisance et de ma liberté de la partie précédente, il devait la trouver bien changée, la fille de son banquier. J’étais dans de beaux draps. D’autant que le vent se levait. Alors j’ai fait semblant de me tordre la cheville. 

 

— Laissons cela, et revenons à votre accroupissement. Après vous être soulagée et avoir essuyé la dernière petite goutte, qu’avez-vous inventé ?

— De n’avoir rien à remonter, j’ai découvert comme un vertige, encore que mêlé de frustration. J’étais… c'est difficile à dire… j’étais comme égarée. Pour me reprendre en main, je suis allée m’asseoir sur un banc, face au bassin que vous connaissez. J’ai allongé les jambes en regardant les canards, des bleus, des verts, enfin de toutes couleurs, parmi lesquels un couple de mandarins que je reconnais­sais… Là, profitant du soleil, j’ai remonté ma jupe de quelques centimètres.

— Pas de voyeur ?

— Des gens de l’autre côté, mais à cent mètres au moins. De temps à autre, certains se tournaient de mon côté, mais je pense pas qu’ils aient remarqué quoi que ce fût. Je ne devais être à leurs yeux qu’une gamine ne valant pas la peine qu’on se montât le bourrichon. Le cœur battant, j’ai donc poursuivi le jeu, remonté ma jupe au ras… enfin, vous voyez, puis au-dessus, et comme personne ne s’intéressait à moi je me suis allongée un peu plus, j’ai renversé la tête en arrière en me protégeant d'une main, puis, à mesure que le soleil me chauffait, en disposant les bras sur le dossier du banc.

— Charmante façon de vous offrir, mais à qui ? »

Elle baissa les yeux, avoua qu’elle avait mis plus d'un mois à comprendre, et que l’explication l’avait désarçonnée.

— À l'amour, finit-elle par avouer.

— Et l'amour est venu ?

— Un garçon, souffla-t-elle. Vingt ans à peine, des yeux que je n’oublierai jamais. Il s’est assis près de moi, il m’a regardée pour ensuite, respectueusement, poser la main sur mon épaule..

— Et alors ?

— Je me suis enfuie. 

 

Rose bébé

 

— Attirée par les personnes de ton sexe, mon bébé ?

— En aucune manière.

— Pas même par ta cousine ? 

Elle dut avouer que si, un peu… Elles s’étaient arrêtées dans les bois, aux trois quarts dévêtues, et…

 — Etait-ce répréhensible ?

Sarah lui répondit que rien ne l’était en amour, que l’on pouvait tout essayer, se livrer à toutes les fantaisies imaginables tant que le mal était absent. Cependant, dans son cas, mieux valait ne pas se hâter. Et elle revint donc à l’organe du docteur Lipovsky.

— Tu t’en es détournée ?

— Il me l’avait interdit.

— Et qu’en as-tu pensé ?

Elle ne savait au juste, ni ne se souvenait d’avoir pensé, mais cela avait été un choc. Ce que donnaient à voir dans les jardins publics certaines divinités antiques dénuées de feuilles de vigne, à savoir des attributs semblables, encore que rendus harmonieux par le talent de l’artiste, elle n’en avait jamais observés d’aussi près… enfin n’en avait jamais vus. Elle précisait cependant qu’elle aurait bien touché celui du docteur Lipovsky, pris dans sa main pour en connaître la nature, mais qu’elle n’avait osé.

Sarah lui fit alors cette confidence : l’initiation au tou­cher figurait au programme de cet après-midi. 

 

Redevenue la petite fille qu’on berce, elle remarquait à présent, dans le bâillement se son haut, que sa maman ne portait pas de soutien-gorge. Lui vint alors la pensée qu’elle s’en était défaite avant de venir la trouver, et qu’elle était nue de même sous sa robe… Elle se revit alors au salon, se revit de même au portique, mais plus rien de choquant dans cette vision de soi, ni dans celle de Clarisse. À bien y réfléchir, l’exercice lui parut même plai­sant, et généreux se montrait le Créateur dès lors que les bonnes sœurs cessaient de s’inquiéter, en leur têtes à sornettes, des mains qu‘on glissait sous les draps.

Elle commença de défaire les boutons du corsage, posa la tête entre deux seins de crème, effleura le plus proche et le prit dans sa main, le souleva, en apprécia le poids.

Les siens, nul ne pourrait en profiter ainsi, ni s’oublier dans leur moelleux. Ils étaient tout petits, à peine formés, avec des tétons roses devenant plus gros qu’eux dès qu’on les effleurait.

C’est dans cet état que Clarisse, entrée dans le boudoir, trouva sa protégée.

 

Blanc, rouge violine

 

Enveloppé d’un peignoir aussi blanc que les murs et le carrelage du sol, le crâne rasé, un type trapu dont l’allure, à mi-chemin entre le cru et le cuit, l’apparente au cochon, vient se camper devant elle, qui se demande si mieux ne vaudrait pas s’enfuir. Deux mots hélas, un ordre, et la voici priée de quitter sa robe et d’approcher le monstre. Lequel, peignoir entrouvert, s’est installé, masse imposante et foutrement musclée, sur un tabouret de ring.

— À quoi as-tu joué, avant de venir ici ?

Elle ne comprenait pas.

— Ton poil est englué, lui fit remarquer le catcheur. Te serais-tu touchée ?

Elle balbutia que non, mais qu’une amie …

— Eh bien tu vas me récurer ce petit coin, décida-t-il en se mettant debout. Un gant et le gel approprié, tu as là le nécessaire.

Il emplit le bidet d’une eau à peine trop fraîche, demanda à l’offusquée de s’installer de manière à le voir, lui, (qu’elle ne s’inquiétât pas, il aurait le dos tourné), puis s’en fut vers le mur opposé, prit place devant un lavabo et quitta son peignoir.

La totale ! À l’exception d’une ceinture de part et d’au­tre de laquelle pendaient on ne sait quoi, l’homme s’affichait dans le plus simple appareil. Si bien qu’elle allait assister, de là où elle était — lui de dos, Sainte Vierge, mais quand même —, aux ablutions d’un boxeur aux muscles de béton, essentiellement occupé de son outil. Elle vit se contracter ses fesses, perçut aux mou­vements de ses coudes ce à quoi s’employaient ses mains tandis qu’il inclinait la nuque, et elle pendant ce temps… — mon dieu ces bruits révélateurs, cette succession de clapotis dans une pièce immense qui amplifiait les sons et dont le mobilier, outre le tabouret, se limitait à une table et un matelas fitness avec, en sus, elle s’en apercevait soudain, une porte dérobée. Par chance, aucun œil n’y parut, mais  la seule présence de Chéri Bibi (faute de mieux elle l’affubla de ce patronyme) suffisait pour que le monde entier fixât les yeux sur elle. Le type s’essuya rapidement, remit la serviette à sa place et, revenu à elle avant qu’elle n’eût fini, fit mine de ne pas remarquer en quelle posture elle se trouvait, ni de réaliser qu’il se tenait, lui, sans éprouver la moindre gêne à exhiber ses attributs, en face d’une jeune fille aux occupée de rinçage.

 

Elle avait obéi et voyait, ou plutôt distinguait, dans la pulvérulence d’une lumière décomposée, l’exact aspect du mystère maculin, ici moins fripé que chez le docteur Lipovsky, on pourrait dire joufflu, comme de pouponnière, mais en même temps à ce point simplet qu’on l’aurait dit d’un chien — ces animaux possédant un organe identique, une "queue", comme ricanent les garçons, avec “roubignoles“ en sautoir.

— Tu trouves laid ?

Elle balbutia que non.

— Tu aimerais toucher ?

Elle balbutia que oui.

— Alors viens avec moi.

Il s’installa sur le bord de la table, un pied dans le vide, le pénis au repos.

Silence, flottement, puis une main féminine hésitante, frôlant avant de saisir.

Si doux, si léger… les testicules pesant comme deux œufs de poule faisane et roulant dans la paume sous leur enveloppe de peau, elle en aurait pleuré. Aurait pleuré sur le garçon du parc, sur son destin à elle, sur le sort de l’espèce.

 

 Elle revint à l’objet de son étude, une abstraction saisie entre deux doigts, appliquée sur la joue tandis qu’on lui ébouriffait les cheveux.

Réveillée par les lèvres qui se posaient sur elle, la forme rose et lisse, tirée de son fourreau, ne devait-elle pas grossir, devenir comme du fer ? Elle posa la question, fut invitée à relever le menton.

— Tu désires tout savoir, dirait-on…

— Je désire surtout vivre, répondit-elle sans fard.

— Alors nous allons progresser. 

Et le voici qui dégageait en douceur, et sous ses yeux pour qu’elle n’en perdît rien, le gland de son fourreau.

— À ton tour, petite fille.

Elle pensait que les hommes durcissaient à la seule vue des femmes, à l’aperçu de leur poitrine dans l’ombre d’un chemisier lorsque venait l’été, plus encore à leurs pauses devant les objectifs, et mieux encore sur leur bidet ou pire, comme autrefois quand, ne disposant que d’une cuvette, elles devaient mettre genou à terre au milieu de la cui­sine… Sans doute s’égarait-elle, ou bien les auteurs trompaient-ils leurs lectrices pour s’attirer l’amour mais cet homme-là, si massif, en même temps si posé et si doux, appartenait à une espèce qu’elle ne connaissait pas… Religieusement, elle entreprit de dégager le gland. Tirée de sa torpeur, la verge commença de grossir, doubla puis tripla de volume, durcit dans une succession d’à-coups la dressant comme une arme.

 

— Si tu veux bien, nous poursuivrons plus tard.

Il la fit se redresser, lui désigna l’estrade à peine suré­levée qui occupait, sous les rayures ensoleillées d’un store, un renfoncement du mur. Puis la pria d’y prendre place, de s’y camper tandis qu’il venait se placer à quel­ques centimètres d’elle, lui demandant de lui saisir la taille. Il la prit quant à lui par les hanches et, sans qu’elle s’y attendît, l’amena contre lui et lui saisit les lèvres, s’en détacha pour la regarder, s’imprégner de sa candeur et de nouveau l’attirer, de nouveau l’éloigner. Puis il la fit à nouveau glisser vers lui pour qu’elle sentît entre ses cuisses les à-coups de l’érection, le retour d’une force qui la plaçait à cheval sur un membre luisant, glissant de ses liqueurs de femme.

Son heure avait-elle sonné ? Se collaient l’une à l’autre une raideur et une chair à ce point attendrie qu’elle ne pouvait en décider… Des deux mains, l’homme l’éloignait de quelques centimètres, quelques autres encore, inter­rompait le mouvement avant que la distance ne vînt les désunir, puis la ramenait vers lui de manière qu’elle sentît, dans la pénombre qui la protégeait, s’enflammer contre lui ses lèvres et ses nymphes. La fois suivante, l’empoignant par les fesses au terme du recul, il les lui écarta de telle sorte que, dans un réflexe de resserrement, elle glissât contre lui. Deux fois, trois fois de suite avant de la ramener, pantelante, là où se trouvait la table.

 

 

On lui massait à présent le dos en de larges révolutions qui peu à peu l’engourdissaient, mains se joignant à hauteur de ses reins, glissant au long de son épine dorsale, révélant chaque vertèbre avant de s’en aller lisser les mollets et les cuisses, à peine les séparer, rose frôlant les nymphes. Elle se revit occupée à manier un phallus et le réduire à rien car elle s’y entendait, toute jeune fille qu’elle était. Il suffisait de lui saisir la queue et l’animal était fichu, un coup de langue et paf ! dans les choux, le costaud. Mâle musclé domestiqué par une simple femelle qu’il servait à présent, tenu d’une main ferme et attendant ses ordres, s’asseyant auprès d’elle, roulant deux yeux fiévreux vers la fille convoitée, s’en léchant par avance les babines mais pas touche, touche uniquement lorsqu’elle le permettrait, ce soir peut-être ou peut-être demain, après il l’aurait attendrie. Et le désir lui revenait maintenant qu’on lui flattait cuisses et lui pétrissait les fesses en catcheur diplômé, en masseur de Béa, de Clarisse et d’elle-même, toutes trois lui sautant sur le râble pour qu’il les satisfît comme avait fait à son endroit le docteur Lipovsky, Florian de son prénom, après qu'elles l’ont consulté à propos des moiteurs, touffeurs et démangeaisons qui ravageaient une orpheline, la poussant à la pire inconduite dans les jardins publics…

 

Retournée brusquement, maintenue sur le dos pour le massage du buste, le pétrissage de sa poitrine suivi de l’appréciation de son poil, après quoi on s’en fut s’occuper de ses pieds dont on pressa, tira et tritura un à un les orteils, créant en connaissance de cause, dans les abîmes de sa féminité, le flux et le reflux de la glace et du feu. La banquise et la lave s’enlaçaient, s’épousaient un instant, mêlaient poignards et langues en une bacchanale traver­sée de pulsions aussitôt foudroyées, accouplaient les contraires dans ce qu’ils présentaient de plus précieux, sexe incendié mais on le dédaignait, on attendait qu’elle pleurât son attente, qu’elle hurlât son désir et se dressât pour empoigner, retenir et faire sienne. Une fille qui désormais échappait à elle-même, une fille en vibration dans un lieu hors du temps, la matrice d’un monde en travail d’accouchement.

 

On l’a ramenée sur terre et frottée, enveloppée d’un long peignoir mais elle n’est plus sur terre, la fin de ses épreuves l’a menée dans les nues.

On l’a posée dans un fauteuil, on s’est agenouillé à ses pieds pour élaguer les abords de son sexe, mais sans trop insister. Elle pourra à loisir apprécier le résultat, sentir sa nudité nouvelle… Entre le pli de l’aine et ce qui reste d’un buisson c’est on ne peut plus soyeux, on y glissera la langue lorsqu'on l’épousera.

On lui murmure qu’il s’agit là de l’expression égyp­tienne de sa féminité, et qu’elle est adorable. D’un geste respectueux on la rend ensuite à la fée, laquelle lui prend sa main et la mène à l’étage, l’y chausse de bottines, lui passe un doux mohair qui lui épouse le buste, lui couvre les épaules et s’arrête à ses hanches.

Rien d'autre que cette laine pour revenir sur ses pas, redescendre vingt marches et regagner le hall, le traverser au bras d’une cousine impassible, passer une porte et gagner un perron, se diriger vers une moto qu’enfourche une silhouette qui vous tourne le dos.

 

Or forestier

 

À sa sveltesse, à sa peau aperçue entre son jean et le cuir de son blouson, il ne pouvait s’agir que d’un jeune homme, vingt ans comme elle, en plus costaud, en plus robuste pour pouvoir, à la seule force de ses muscles, maintenir sa machine verticale lorsqu’elle lui agrippa l’épaule d'une main, de l’autre se cramponna à Clarisse pour enjamber la selle… Le garçon adressa un salut au pêcheur à la ligne aperçu brièvement, chapeau de paille et canne à pêche, asticots à main gauche, à sa droite un goulot dépassant d’une musette.

Jeune homme dont elle ne savait rien, qui ne s’était soucié ni de son nom, ni de son aspect, et qui la promenait sans même un short, la promenait bottomless dans une chasse gardée ou pas de chasse du tout, simple repaire tantrique… À moins qu’il ne l’ait aperçue dans son rétroviseur tandis qu’elle devait s’incliner vers Clarisse, et Clarisse la soutenir tandis qu’elle s’exhibait, pire que dans la Lancia, coffre la protégeant cependant des regards indiscrets, ventre dissimulé par le corps du pilote… Sans doute le pêcheur à la ligne s’était-il murmuré impossible, une tenue pareille, et avait-il pensé qu’elle avait un maillot comme les vacancières en portent de nos jours, qui leur dégagent les hanches…

 

Coups de klaxon, la moto ralentit, décrit un cercle vers le lieu de son parking mais ne s’y arrête pas. Et  la voici dans l'allée principale, qui accélère sous les bouleaux, bondit vers le portail dont s’ouvrent les vantaux.

Le chemin de silex à présent, la ruée vers le grand jour et brusquement l’enfer, la nationale où se fracassent les jardins et les lacs.

 

Vert foudroyé

 

Les larmes lui brouillant la vue ne provenaient ni de la douleur ni de l’angoisse, elles résultaient du vent, et la vitesse les gommait aussitôt. La GoldWing franchissait les distances à cent cinquante à l’heure, s’inclinait dans les courbes, plongeait dans un vallon pour en rejaillir aussi­tôt, dépasser trois voitures, foncer vers les suivantes. Elle ralentit à l’entrée d’un village, celui de ce matin quand le camion les poursuivait, ou son jumeau de basses maisons de briques à couvertures d’ardoise, et elle en son exhibi­tion pour magazine de charme. Les hommes suivaient des yeux cette puissante machine, la fille accrochée des deux mains au blouson de son pilote, pas du genre à rechigner quand son mec en voulait, seulement fallait du blé — une moto pareille !…

 

Trop de fraîcheur sou­dain, se saisir de la taille du garçon, garçon auquel on ne refusera rien, à l'image de la fille au fabuleux pétard sur la moto doubleuse, la moto qu’on rattrape et redouble, et qui vous colle au train. Mais la GoldWing interdit toute étreinte, la GoldWing vous transporte, en première page d’un périodique pour délurés sexuels, à la grand rue d’un bourg où se bousculent les aoûtiennes, une culotte sous chaque jupe tandis que de son côté pas le moindre nylon, rien qu’un petit foulard… Une voiture devant, une voiture derrière et la voici plaquée contre le cuir de son pilote, un péquenaud la sifflant et se retournant sur elle, la désignant à un rougeaud dont les yeux s’écarquillent… Accélération sur vingt mètres, décélération immédiate, trop de monde au feu rouge, machine contrainte à s’arrêter entre trottoir et Peugeot cabossée, à portée de retraités se dirigeant vers elle…

Le conducteur de la Peugeot la fixe, elle relève la visière de son casque et le fixe à son tour… Il détourne les yeux, feint de consulter sa montre, allume une cigarette.

Confronté à de l’impensable, il la mate à nouveau en se disant que non, puis que peut-être, puis que si… que c’est l’évidence même, rien que son petit tricot, son abricot entre les cuisses… Il en ressent une douleur au radis, tourne les yeux vers un étal de voitures d’occasion mais revient se coller telle une mouche, une sangsue à moustaches. Il a une tête de contremaître de garage ou de charcutier traiteur, avec une charcutière veillant sur sa conduite, sa nuit sera mauvaise.

 

On l’a savonnée et rincée, séchée et parfumée, recoiffée et nourrie. Assise dans un fauteuil au centre d’elles, elle flotte dans un rêve qui est le rêve de toutes, l’attente de toute femme avant que le seigneur ne vienne. Elle ne pense ni n’agit, ni ne prie. Elle est trop bien ainsi, apprêtée pour un homme qui la désire parfaite, son mari tout à l’heure, son amant…

Elle est le rêve d’un homme la guettant quelque part, qui se pré­pare à l’honorer comme on fait d’une princesse, avec tous les égards… Mais en quel lieu l’a-t-on conduite, de quelle époque datent ces fenêtres à petits carreaux, ces plafonds à caisson, et qui sont-elles toutes, ces femmes aux petits soins pour elle. Une princesse est-elle, une reine en attente d’hommages, qui flotte dans le rêve d’une fille abandonnée, larmes à fleur de cils, larmes à jamais taries.

On lui présente sur des mannequins des robes… l’une découvrant les jambes quand on la voit de face, une autre les découvrant de dos, échancrures s’arrêtant à la limité permise

Des robes de mariage…

Elle choisit la troisième, un voile qui la couvrira toute encore qu'elle sera nue dessous, jeune femme joliment faite, auréolée de transparences…

 

Blancheur nuptiale

 

C’est une chapelle de pierre en bordure d’un étang, à l’extrémité d’un chemin de silex et de sable. Une femme l’y a menée dans une automobile, a encore arrangé un détail de sa robe, puis l’a laissée sur ces paroles, qu’elle tourne et retourne sur sa langue : se tenir immobile face à la pierre d'autel, face à la pierre sans bouger se tenir… surtout ne pas se retourner, ne se retourner pas surtout… c'est derrière qu'il viendra… derrière c’est qu’il viendra…

Dans les effluves du soir une chapelle de pierre en un pays de forêts et de landes aux senteur de fougères, ouverte à une cérémonie nuptiale. Elle a des escarpins dorés, une robe si légère qu’elle la sent à peine, et le temps s’est figé, ou comme sur la moto file à une telle allure qu’on ne le voit passer…

Il viendra par derrière, lui a-t-on murmuré, par der­rière viendra-t-il, mais où seront les témoins, où seront les demoiselles d’honneur ?

Par derrière approchera sans un mot, sans un bruit, une ombre à peine sur le dallage de pierre, et elle en son attente… Approchera la bouche de son oreille et lui dira… non, ne lui dira rien mais épousera ses hanches, appro­chera les lèvres de son cou, qu’elle a bien dégagé. Elle ne porte aucun voile, juste une vapeur au sommet de la tête, au-dessus des spirales d’escargot. Elle s’est trouvée très belle, et désirable infiniment dans le miroir de cette maison où chacune s’affairait à sa toilette et son bien-être, sa coiffure, ses senteurs de jeune fille, à moins de cinq minutes d’ici.

Elle a de nouveau envie de pleurer, envie de rire, envie de faire pipi, mais cela peut attendre.

Elle aimerait à ses côtés Clarisse, Béatrice l’assistant. Elles joueraient ensemble au jeu de la rose et de l’oie sur un banc de la chapelle, ou bien devant l’étang, à la vue des canards. Mais qui est donc Béa ? Et Xu, et Sarah Livenstein, qui sont-elles ? Et ce catcheur qui l’a massée jusqu’à la déraison avant de la bercer dans l’eau, puis qui l’a épilée dans ce fauteuil là-bas, grande ouverte, une chose…

Elle n’a rien d’une chose, elle est une jeune femme en attente de fête, vingt ans dans cinq minutes, ou quinze minutes ou moins — allez savoir, va savoir ma chérie ce qu’est devenue ta montre… Elle a le poignet fin et de fort jolis bras, dorés pour son amant qui par derrière viendra, à pas de loup la saisira et consommera, levrette en sa chapelle et sous sa robe nue, et tendrement caressera les jumeaux dont dardent sous la soie les embryons de cornes… Ne pas les titiller, ne plus jamais se caresser dans sa chambre ou ailleurs, ni se promener sans rien, ni rien… mais chut !…

Elle a cru percevoir quelque chose, une présence, un souffle derrière elle…

Le monde va chavirer, va chavirer le monde, surtout ne pas se retourner.

On est entré à pas de loup dans la chapelle de pierre, un homme assurément, son fiancé, son amant pour l’éter­nité, qui avance sans bruit, sans bruit sur les dalles de pierre vers une fête païenne, une kermesse sans pareille sous un voile de mariée…

…un  voile de mariée.

 

Bleu nuit

 

— Rêverais-tu en bleu ?

Clarisse est retombée, Judith à son tour la contemple, si belle en sa langueur. L’une brune et l'autre blonde, entre elles Amadeo leur maître, adorateur de leurs attraits complé­mentaires, dispensateur de leurs plaisirs semblables… Un homme grand et svelte, et blanc de travailler loin d’elles, sa peau teintée de lune dans cette chambre apprêtée pour eux seuls, qui respire en sa paix… Elle le retourne sur le dos, pose les lèvres sur l’oiseau.

Le soigner à son tour, le soutenir dans ses conquêtes, le parer de ses bras, le couronner de son bonheur…

— Ma fée, pourquoi a-t-il voulu deux femmes ? 

Regard d’une cousine à l’autre bout de la nuit, puis un silence de mille années-lumière avant que cette réponse ne vienne : que c’est un homme inquiet, qu’il a besoin qu’on l’aime.

Judith regarde sa semblable, regarde Amadeo, voit disparaître à la lueur de la lune son ancienne apparence, puis se former l’image d’une jeune femme en butinage des hommes — c’est là la seule façon qu’on ait de les sauver. Et la voici qui se prend à sourire à cette réalité : ses deux amours dans un lit de géants, et elle à leur image, repue de Sologne et de plaisirs.